Le projet de loi à l'épreuve du Parlement. Épisode 7
De l’éthique au politique
Alors que ma précédente synthèse observait un glissement vers des arguments de conception éthiques –voire philosophiques - dans le débat sur la fin de vie, l’ouverture de la commission spéciale chargée de l’examen du texte semble faire le chemin inverse : réintroduire une dimension presque exclusivement politique à l’heure où le texte est en passe d’être présenté aux votes des parlementaires. C’est dire qu’en quatre jours, le débat a changé de rythme et de consistance : on en est désormais à préparer les amendements qui alimenteront les échanges dans le cadre de la discussion dans l’hémicycle. Tout commence avec la reconnaissance de la Convention citoyenne et finira le samedi 27 avril 2024 lors de la session de redevabilité à l’occasion du discours du Président de la République. La boucle serait-elle bouclée ? Ou serait-ce le signe d’un nouveau départ ?
Le travail de la Convention se poursuit
Au-delà du rapport du 3 avril 2024 remis à l’Élysée, c’est l’existence de l’association créée à la fin de nos travaux « Les 184 » dont Le Parisien (25/4/2024) rend compte ainsi que de son activité : la lettre ouverte adressée au Président de la République, mais aussi l’organisation de « mini conférences » entre autres. Apartisane, notre association, (110 membres de la convention au 27/4), a vu la création d’une seconde « Faim2vie » militante pour les soins palliatifs et opposée l’aide à mourir (une vingtaine de membres de la convention au 27/4). « Nous sommes militants pour les soins palliatifs et contre l’aide à mourir ». Une façon d’entretenir le débat sur la fin de vie ?
La Commission spéciale
C’est Agnès Firmin Le Bodo qui la présidera et Olivier Falorni qui en sera le rapporteur général. Une commission composée de 71 députés qui plancheront donc sur le texte. Un texte dont le Conseil d’État a appelé le gouvernement à définir « de manière suffisamment claire et précise les actes entrants dans le champ de l’aide à mourir ». Les Sages appellent par ailleurs le gouvernement à préciser ses euphémismes. Est en jeu l’expression « aide à mourir » (L’Opinion, 11/4/2024)
Les points d’achoppement
1. Sur l’équilibre entre soins palliatifs et aide à mourir
Le premier écueil est que le recours à l’aide à mourir soit « la solution de repli par incapacité d’accès aux soins palliatifs » dans un contexte où « l’immense majorité des soignants refuse le suicide assisté et l’euthanasie » comme le déclare le neuropsychiatre Roger Gil (L’Humanité, 27/3/2024). Ce point important, que les défenseurs de soins palliatifs mettaient en exergue depuis longtemps, réapparaît à la faveur de l’imminence de la date butoir du 7 mai 2024, 17 h, pour déposer les amendements.
2. Sur l’obligation de passer par des soins palliatifs pour demander l’aide à mourir
La demande d’aide à mourir serait, selon les termes du projet de loi, subordonnée à la proposition préalable de soins palliatifs. Concrètement, selon Catherine Vautrin, la mesure se justifie dans la mesure où « quand quelqu’un pensera remplir les critères pour demander l’aide à mourir, on aura déjà augmenté l’offre de soins palliatifs ». A contrario, si Claire Fourcade (SFAP) salue des annonces qui « vont tout de même dans le bon sens », celle-ci regrette que les améliorations attendues ne soient consenties qu’en contrepartie du volet de « l’aide à mourir », sémantique qu’elle juge toujours trompeuse.
3. Sur la procédure collégiale
Ce point est soulevé par Claire Fourcade : « l’absence de procédure collégiale place le médecin dans une position de toute puissance que l’on voudrait révolue. ». Une critique qu’elle a déjà formulée précédemment et sur laquelle elle revient.
4. Les patients exclus des conditions d’accès à l'aide à mourir : les mineurs
Parmi les sujets qui risquent de diviser les députés, celui des mineurs figure en tête. Du côté du gouvernement, l’entourage de Catherine Vautrin considère que « c’est une ligne rouge pour la ministre. Elle assumera cette conviction lors des débats. ». La question reste cependant taboue en dépit de l’assurance de la ministre expliquant qu’il faut « affiner la pédagogie que mérite ce texte ». Reste que des débats difficiles sont à prévoir et que l’absence de consignes de votes dans les rangs des partis politiques permettra peut-être d’éviter … Pour Olivier Falorni, « C’est un débat, mais pas un sujet. Il faut arrêter d’imaginer des choses qui ne se produiront pas. Il n’y aura pas de majorité pour voter un élargissement de l’aide à mourir aux mineurs », assure-t-il.
4. Sur l’intervention d’un proche dans l’acte d’aide à mourir
S’agissant d’une mesure dont les conséquences sur les proches sont difficilement mesurables, le retrait de cette proposition pourrait, selon la Ministre, être envisagé. « Je reconnais que c’est probablement très difficile pour les proches de réaliser cet acte. C’est un poids psychologique lourd à porter », glisse Catherine Vautrin.
5. La clause de conscience
Des amendements suggèrent de restreindre l’implication des soignants en instaurant une « clause de conscience collective » pour écarter l’euthanasie et le suicide assisté d’établissements entiers. Une sorte de compromis. « D’autres, notamment déposés par Geneviève Darrieussecq (MoDem) et Annie Vidal (Renaissance), misent sur une nouvelle piste : le volontariat des soignants avec la formation et l’accompagnement des médecins prescrivant le suicide assisté ou susceptibles de réaliser une euthanasie. Cette alternative à la clause de conscience vise à éviter des divisions dans le monde médical et surmonter l’opposition d’une large partie des soignants au texte ». (Le Figaro, 8/5/5/24)
6. Le poids de la parole de la personne de confiance
Dernier point d’achoppement : le critère du discernement du patient. Qu’en sera-t-il des malades qui demandent l’aide à mourir dans leurs directives anticipées et répondent aux critères d’éligibilité ? Le projet de loi, en l’état, ne prévoit pas de suivre leur volonté au cas où ils deviendraient inconscients. « Une rupture d’égalité », selon l’ADMD. Des amendements proposeront donc que la personne de confiance puisse réitérer la volonté du patient dans ce cas de figure. Pour Catherine Vautrin, « le projet de loi est articulé autour de la volonté du patient ». « C’est un des piliers du texte. Nous serons extrêmement prudents ».
7. Sur le pronostic vital
L’idée du pronostic vital engagé à moyen terme fait couler beaucoup d’encre. Les uns le trouvent trop flou, les autres trop restrictif. Avec comme conséquence qu’il devrait ou bien être supprimé ou bien précisé.
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À ce jour, 8 mai 2024, il y aurait près de 2000 amendements selon Ouest-France :
- 400 concernent le pronostic vital engagé ;
- 830 concernent les mineurs ;
- 10 concernent la présence des mots « suicide assisté » et « euthanasie » dans le texte de loi.
- 900 amendements proviennent des « LR ».
Jean Bouhours, le 8 mai 2024