La fin de vie, au cœur du débat sociétal : l’annonce de la Convention citoyenne. Episode 1

La fin de vie, au cœur du débat sociétal : l’annonce de la Convention citoyenne. Episode 1
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Avertissement : cette synthèse résume les échos médiatiques majeurs entourant la Convention citoyenne sur la fin de vie sans prétendre tout refléter ni porter jugement. Elle a été réalisée par Jean Bouhours, membre de la CCFV que nous remercions.

Dès septembre 2022, l’annonce d’une Convention citoyenne sur la fin de vie (7/1/2022 Le Figaro) relance le débat sur l’aide active à mourir (AAM). Deux figures principales émergent : Jonathan Denis pour l’ADMD[1] d’une part, et Claire Fourcade pour la SFAP[2], En toile de fond, la situation de l’hôpital : « face à la grande démission de l’hôpital, soigner autrement » (Libération 1/9/2022) et l’avis attendu du CCNE[3] sur la fin de vie et l’évolution de la loi Claeys-Léonetti -2016 – pour fin septembre 2022.

Le décor est planté : une opinion publique largement favorable à l’évolution de la loi, un gouvernement qui se saisit d’une réforme sociétale majeure, des médecins et des soignants généralement hostiles comme les autorités religieuses, une instance, le CCNE, dont on attend l’avis, une presse divisée. En face, le CESE qui organise une Convention Citoyenne sur la Fin de Vie (CCFV) avec 184 citoyens tirés au sort ayant pour mission d’éclairer le débat et de faire des propositions. Dès le 14/9/2022, comme l’indique l’éditorial de La Croix (7/9/2022), « le calendrier pour une réforme de la loi s’accélère ».

Le Débat

En « donnant son feu vert à un changement majeur pour explorer les pistes du suicide assisté » et conjointement en posant « le développement massif des soins palliatifs » (Le Figaro 17/9/2022), l’avis du CCNE, reçu par certains opposants comme « un avis de rupture » (La Croix 14/9/2023), relance un débat que la CCVF[4] reprendra pendant neuf semaines.

La question posée par la Première Ministre à la CCFV était la suivante :« Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? »

Si certains se demandent si (La Croix 13/9/2022) « La loi actuelle ne suffit-elle pas ? d’autres sont favorables à son évolution, à l’instar de Line Renaud[5], « Je souhaite que cette loi passe et vite », sous-entendu « qu’on puisse choisir sa façon de mourir ».

C’est donc un débat qui, dès le départ, fait s’affronter des positions – voire des postures - a priori irréconciliables entre deux logiques : « l’éthique de la conviction »[6] contre « la réalité de ce que subit le patient »[7].

Une remise en cause et des critiques précoces sur la tenue d’une CCFV

Avant que la Convention ait entamé ses travaux, elle fait déjà l’objet de critiques. « La fin de vie méritait mieux qu’une Convention citoyenne » titre L’Opinion (14/9/2022) s’interrogeant sur la « représentativité » et la « légitimité » de ses participants. Ainsi cette autre réaction (Le Figaro 14/9/2022) qui affirme que « La Convention citoyenne est « un faux débat public » qui ne convainc pas ».

Toutefois, dans son éditorial (Le Figaro), Guillaume Tabard nuance l’opinion précédente en reconnaissant « qu’un débat citoyen permettant d’informer les esprits et d’éclairer les consciences est à l’évidence une bonne idée […] ».

En contrepoint de ces critiques, Libération fait entendre une voix différente notant que « la question s’inscrit dans le champ social plutôt que médical » en s’appuyant sur les progrès thérapeutiques et sur l’évolution des demandes ces dernières années. Reste toutefois que dans l’esprit du gouvernement, « les pistes de la convention citoyenne décideront de l’orientation d’un futur texte ». (Le Figaro 16/9/2022).

L’état des lieux d’un débat ou les mots qui fâchent.

Quatre points de vue pour structurer le débat :

1. du point de vue philosophique et sociologique ;

2. du point de vue des médecins et des soignants ;

3. du point de vue des autorités religieuses ;

4. du point de vue des autorités adogmatiques.

1. Les mots des philosophes et des sociologues

L’aide active à mourir (AAM) inclut deux modalités :

- Le suicide assisté où la personne s’administre elle-même le produit létal

- L’euthanasie (étymologiquement « bonne mort ») où le produit est administré par un tiers.

Du côté des opposants à l’AAM, le débat met en jeu « la condition humaine » et l’expérience des soignants montre que la demande de mort n’est jamais aussi claire que ce que les partisans d’une nouvelle loi peuvent laisser entendre. (La Croix, 26/9/2022, entretien avec le philosophe et sociologue Jean-Pierre Le Goff). En d’autres termes, les mots de la demande de mort sont fragiles et peu stables. A contrario, Luc Ferry estime que « la demande de mort peut cacher une demande d’amour », opinion à laquelle répond Axel Kahn considérant que la loi Claeys-Léonetti de 2016 représenterait le compromis le plus raisonnable.

Jean-Louis Touraine précise le débat : « le comité consultatif national d’éthique a ouvert la voie à une aide active à mourir. Il faut se préparer à cette avancée tout en l’encadrant strictement afin d’éviter les dérives. » Une opinion qui rejoint celle des responsables de l’association « Dignitas » pour qui « la liberté de choix est la chose la plus importante ». Si on ajoute à tout cela l’opinion d’André Comte-Sponville, partisan de l’Interruption Volontaire de Vie (IVV)[8] s’inspirant de Montaigne : « le plus beau cadeau que Nature nous ait fait est de nous laisser la clé des champs »[9] (« La clé des champs et autres impromptus » au PUF), nous avons là un aperçu de quelques penseurs de notre époque.

2. Les mots des soignants

Il y a, bien entendu la SFAP – avec la docteure Claire Fourcade, fer de lance de l’opposition à l’évolution de la loi. Elle déclare (13/9/2022 La Croix) espérer « que cette concertation permettra de trouver un modèle à la française et non de plaquer chez nous celui d’un autre pays ou d’une culture qui ne nous correspond pas. » « Aucune loi ne pourra répondre à toutes les questions sur la fin de vie ». Mais elle ajoute aussi « le choix de légiférer sur l’euthanasie met en tension de grands principes éthiques. » parmi lesquels « celui de la solidarité et celui de la liberté individuelle, de l’autonomie. » « Une loi sur l’euthanasie ou le suicide assisté pencherait davantage vers l’autonomie que vers la solidarité. Ce serait une mesure ultralibérale. » Et pour conclure, elle rappelle que « la question de l’euthanasie ne fait pas partie du quotidien des médecins. ».

« Faire mourir son prochain n’est pas un acte médical. » tel est leitmotiv des soignants qui s’opposent à l’AAM qui considèrent que « donner la mort n’est pas un soin. » Nous le verrons tout au long du parcours que ce débat a initié, ce sera l’argument majeur sur lequel s’appuieront les adversaires de la loi nouvelle. L’ergothérapeute Élisabeth de Courrège (Le Parisien, 14/11/2022) souligne la contradiction face à laquelle se trouverait le soignant : « la mission qu’il a choisie est celle de soigner […] et en aucun cas de tuer ou de mettre fin à la vie. ». Une façon de dire que le verbe « tuer », qui revient à chaque témoignage, exprime à lui seul la transgression du serment d’Hippocrate. Dernier sujet de crainte pour les opposants (Le Parisien, 14/11/22) : « que le droit à mourir ne se transforme un jour pour les plus fragiles en injonction à renoncer à la vie par crainte de peser sur leurs proches ou sur la société. »

Pour contrebalancer ces critiques, on peut citer le témoignage de Vincent Morel, professeur au CHU de Renne, (Libération, 13/9/2022). Il juge que « le débat sur la fin de vie est nécessaire, tant les progrès thérapeutiques et les demandes des patients ont évolué ces dernières années. ».

Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale, quant à lui, souligne qu’une distinction doit être faite entre « le faire mourir et le laisser mourir » et que « s’il existe un accès universel aux soins palliatifs, certaines circonstances pourraient justifier à titre exceptionnel l’euthanasie » « Cela réclamerait, non pas de légaliser mais de dépénaliser l’euthanasie au cas par cas, face à la maladie de Charcot ou d’autres pathologies à cause desquelles la personne n’est plus en capacité de se donner la mort. » (L’Opinion, 23/9/22).

3. Les mots des autorités religieuses

Globalement, les autorités religieuses se disent opposées à l’évolution de la loi.

Cela dit, elles ne parlent pas d’une même voix. Même si elles expriment leur opposition à « toute aide active à mourir », (Le Figaro, 20/10/2022) elles n’envisagent pas de « s’unir pour dire leur opposition à la seule condition que la CCFV respecte leur point de vue ». Pour Mgr Éric de Moulin Beaufort, (Le Parisien, 12/11/2022) « Il ne faut pas franchir la ligne rouge. Il est possible de mieux accompagner la fin de vie sans passer par l’euthanasie ou le suicide assisté. »

4. Les mots des autorités adogmatiques

Pour la Franc-Maçonnerie, toutes obédiences confondues, dans une enquête menée par Marianne, (8/12/2022), « La fin de vie est un sujet que l’on portait dans nos loges depuis très longtemps[10] et il y trouve un écho très favorable. ». Et de préciser, par la voix d’Amande Pichegru, Grand Maître national du Droit Humain, que « pour nous, la question fondamentale est celle de la liberté. À la fois pour le mourant et le médecin. La personne qui veut mourir doit avoir le droit de le faire. ».

A suivre l'épisode 2 : Pendant la CCFV


[1] ADMD : Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité.

[2] SFAP : Société Française d’Aide aux soins Palliatifs.

[3] CCNE : Comité Consultatif National d’Éthique.

[4] CCFV : Convention Citoyenne sur la Fin de Vie.

[5] Après sa rencontre avec Emmanuel Macron.

[6] « L’éthique de la conviction » qu’elle soit religieuse, philosophique ou strictement médicale.

[7] Agnès Firmin Le Bodo : interview à l’Obs (RP 9/8/2023)

[8] Déclaration faite lors de l’audition des autorités adogmatiques.

[9] Montaigne ne s’embarrassait pas de formulations quelque peu excessives même s’il reconnaissait que la vie restait le plus beau cadeau que Nature nous ait fait !

[10] Il existe des commissions « éthiques » dans toutes les loges.