Synthèse de la presse du mois de novembre 2023 - Episode 4

Synthèse de la presse du mois de novembre 2023 - Episode 4
Photo by Loïse Raoult / Unsplash

Merci à Jean Bouhours qui continue sa revue de presse sur le débat en cours sur la question de la fin de vie

Ce mois de novembre 2023 est celui de toutes les incertitudes qui ne manquent pas d’affecter le calendrier de la présentation du futur projet de loi devant l’Assemblée prévu en 2024. Mais c’est aussi celui au cours duquel la communauté des soignants exprime ses plus vives réactions face à l’ouverture d’une éventuelle Aide Active à Mourir.

I. « Un débat sans fin » ainsi que le titre Libération (13/11/23) »

Le premier obstacle est « la piste du référendum [qui] sème le doute » évoqué par La Croix, Le Figaro et Le Parisien (7/11/23). Il s’agirait d’élargir le champ du référendum aux questions de société dont la fin de vie et l’immigration. Or, il faudrait, pour cela, attendre l’aval du Parlement et une réforme constitutionnelle « alors qu’un projet de loi est dans les tuyaux ». Ce serait une façon de renvoyer le projet « aux calendes grecques », autrement dit jamais. Le député Philippe Juvin ajoute quant à lui « Il serait totalement illogique qu’il y ait un projet de loi et dans le même temps un référendum. » Paradoxe relevé par Guillaume Tabard (Le Figaro) (7/11/23) entre une présentation de la loi qui bloquerait dès maintenant un référendum sur le sujet et la mise en place d’un référendum qui obligerait à renoncer à déposer une loi au Parlement.

Le second obstacle qui fait dire à Libération que « le débat est sans fin » est qu’il reste encore « des arbitrages à rendre » dont le plus important porte sur la question d’une « exception d’euthanasie » pour les malades dans l’incapacité de s’administrer eux-mêmes un produit létal. À ce titre, « le consensus ne règne pas à tous les étages des ministères sociaux » (Le Figaro, 9/11/23). Si Agnès Firmin Lebodo défend son texte dont elle a rendu une ébauche en septembre à l’Élysée, Aurélien Rousseau, ministre de la santé, craint la fronde des soignants et Aurore Bergé, ministre des solidarités et des familles de France, préfère insister sur les soins palliatifs. Le report sine die de la réunion de « calage » prévue le 14 novembre entre le Président et les quatre ministres concernés (Élisabeth Borne, Aurélien Rousseau, Agnès Firmin Le Bodo et Aurore Bergé) s’explique par le fait que « les derniers arbitrages ne sont toujours pas tranchés » (Aurélien Rousseau). Cependant, selon la ministre en charge du dossier : « Il n’y a pas de lien entre ce décalage d’agenda et la volonté d’avancer sur le sujet. Un texte sera présenté au Parlement en 2024. »

Le calendrier n’est donc pas fixé, explique Le Parisien Dimanche dans un article titré « Les petits pas de Macron sur la fin de vie » précisant que « la seule certitude est qu’il n’y en a pas. » Un ministre du gouvernement – non cité par l’Obs – précise « qu’il [le Président] continue de mûrir le sujet, rien ne serait pire que de se mettre la pression sur le calendrier ». L’Obs 16/11/23). L’autre difficulté réside dans l’opposition du Sénat (épisode 3) qui « va engager une vraie bataille contre le texte. ».

II. Les réactions de la communauté des soignants

L’ouverture de l’aide médicale à mourir agite et divise les soignants qui, médecins, infirmiers, aides-soignants, ont confié à La Croix (22/11/23) leur « cas de conscience. ». « Pour les uns, accéder à la demande de mort d’un patient en fin de vie est totalement impensable ; pour d’autres, l’euthanasie ou le suicide assisté est une solution acceptable pour certains malades incurables que rien ne peut soulager. »

Parmi les premiers, dont fait partie le docteur Alexis Burnod, chef de service de l’Institut Curie de Paris – l’un des grands centres de lutte contre le cancer -, le projet de loi est une transgression de la « règle civilisationnelle » de l’interdit de tuer. « J’ai l’impression d’un retour en arrière de quarante ans, quand on administrait, à l’époque en toute illégalité, des cocktails lytiques aux malades en phase terminale. Or, depuis, la médecine palliative a fait des progrès considérables. Nous avons acquis des connaissances et des compétences qui permettent d’accompagner jusqu’au bout ces patients, qui ne demandent jusqu’alors qu’à vivre. » Même s’il [Alexis Burnod] reconnaît l’insuffisance des soins palliatifs, ceux-ci doivent être prioritaires, à l’instar de la SFAP qui défend la même position. Autre argument repris par beaucoup de soignants : la remise en cause des garde-fous assortis à la loi. « On nous promet que l’aide active à mourir sera strictement conditionnée et encadrée pour des situations exceptionnelles. Mais ne soyons pas dupes. Il existe un lobby qui espère s’affranchir de toutes limites et l’expérience des pays étrangers qui ont autorisé l’aide active à mourir montre que très vite presque tout le monde est éligible. » (Alexis Burnod)

1. Parmi les principes de base

Il y a la primauté du soin sur l’acte de « donner la mort », acte vécu comme une transgression absolue. C’est le cas de l’Ordre des médecins qui se déclare « défavorable à la participation d’un médecin à une euthanasie ». L’Académie nationale de médecine, quant à elle, nuance cette opinion en admettant un droit « à titre exceptionnel » à l’assistance au suicide sans recours à l’euthanasie. (épisode 3). (La Croix, 22/11/23).

Les arguments principaux sont au nombre de deux :

· l’image négative de la médecine et les incidences sur les vocations qui seraient véhiculées par l’accès à l’Aide Active à Mourir. (Jean-Louis Samzun, médecin de ville à Lorient).

· la démotivation des soignants : « […] quand la loi passera, quand bien même elle garantit une clause de conscience personnelle, on perdra la profondeur et la créativité collective qu’il faut mobiliser pour prendre soin. » (Alix Durroux, gériâtre, hôpital Paul-Brousse à Villejuif) (La Croix, 22/11/23).

2. Les positions individuelles des soignants et leurs craintes.

Marie Klem, infirmière libérale à Rosheim (Alsace) déclare « J’avoue, une fois dans ma carrière, j’y ai pensé face à une patiente avec un cancer métastasé qui est morte dans de grandes souffrances sans que je puisse la soulager. Mais de là à faire le geste, je crois que ne pourrai pas. » (La Croix, 22/11/23). Sophie Chrétien, cofondatrice de l’association nationale des infirmiers en pratique avancée, met en avant « l’effet de groupe » d’une part et « la relation d’attachement du soignant envers le malade », d’autre part. « Si l’Aide Active à mourir est légalisée, je crains que l’on se retrouve coincé car il ne faut pas sous-estimer l’effet de groupe : si mes collègues l’ont fait, pourquoi pas moi ? Or, quand on a accompagné une personne au quotidien pendant des semaines, un attachement se crée. Serons-nous obligés de vivre cela ? » Au centre Bérard de Lyon, le choix est fait. « À titre personnel, pour Olivier Tredan, oncologue, je n’administrerai pas de substance létale, pas plus que je n’en délivrerai car c’est contraire à ma vocation qui est de lutter contre la maladie et la souffrance, pas de supprimer la vie […] ». Et de préciser cependant : « Mais évidemment, si la loi passe, il faudra réfléchir, dans mon établissement, à comment on s’organise face aux patients qui le demandent car je crains que l’offre ne crée la demande. »

3. Pourtant, tous les médecins et soignants ne partagent pas ces prises de position

C’est le cas de Stéphane Velut, chef de service de neurochirurgie du CHU de Tours, : « Osons une « interruption volontaire de la vie » » pour lequel le projet de loi doit être le plus ouvert « possible » sans établir des critères « d’éligibilité » trop stricts. » » (Libération 13/11/23). Michèle Lévy-Soussan, responsable de l’Unité Mobile de l’hôpital de la Salpêtrière, explicite sa position : « Ma position, assez marginale, je le reconnais, a beaucoup évolué à la faveur des cas que j’ai eu à traiter. Je pense en particulier à cette patiente atteinte d’une maladie neurogénétique qui était très angoissée par sa fin de vie. Elle s’est finalement suicidée. Ne pas avoir réussi à la rassurer m’a traumatisée. Puis-je me contenter de dire à mes patients : « Désolée, mais moi je m’arrête là. Allez mourir ailleurs » ? ». Dernier exemple : Jacques Birgé, médecin généraliste à Boulay (Moselle) s’est entendu dire par l’équipe hospitalière qui s’occupait de sa mère qu'elle devait quitter l’établissement hospitalier. Celle-ci, 103 ans, sourde, aveugle et incontinente, avait formulé le projet d’en finir. Sa maman sera finalement euthanasiée à Namur.] Pour lui, « l’ultime liberté d’un patient est de pouvoir choisir sa mort […] et que le devoir du médecin est de l’accompagner. ». (La Croix, 22/11/23).