Un an après… Un scénario en trois actes. Le témoignage de Jean
Acte I
La Convention, un espace de travail démocratique.
Avoir été conventionnel, acteur devrais-je dire, d’un événement dont le temps a décuplé l’importance au fil des mois, n’est ni simple ni anecdotique tant il a marqué les cœurs et les esprits, jusqu’à la vie quotidienne. Un voyage dans l’inconnu d’un pays, celui de la Connaissance, celle du monde qui nous entoure, celle de nous-mêmes au fur et à mesure que se construisait ce que nous avions appelé notre « intelligence collective ».
En bref, un voyage dans lequel, le chemin compta plus que la destination. Chemin fait de rencontres inattendues tant les êtres singuliers que nous étions individuellement ne pouvaient soupçonner la richesse des relations qui donna naissance à une création, notre rapport, dont nous pouvons aujourd’hui dire que nous en fûmes le seul « auteur ».
Il y eut d’abord l’enjeu. Certes, nous avions une « mission », claire, précise, sous forme d’une question. Une question qui dissimulait la complexité de la réponse que nous y donnerions. Et pourtant, derrière cette complexité se cachaient le sentiment, la volonté et l’intuition que quelque chose était possible. L’enjeu ? La seule certitude que nous avions était que nous ne « faisions pas la loi » mais que nous en serions les prémices en « éclairant de nos avis » une question sociétale importante sur les aspects de la fin de vie : tout ce qui touche au social, à l’éthique médicale, à la philosophie, au monde des idées et des croyances …
Tout ce qui nous aura permis de dépasser, l’espace d’un moment privilégié, les contingences de notre humaine condition et les questions ontologiques qu’elle pose : « d’où venons-nous, qui sommes-nous, où allons-nous ? », questions que le débat sur notre finitude aura initiées.
C’est tout ce dont nous disposions alors. Alors l’enjeu ? La conscience de cet enjeu s’est construite petit à petit en même temps que se développait le sentiment, de plus en plus prégnant de la responsabilité et de la lucidité dont nous fîmes finalement preuve, de manière individuelle comme collective, afin d’éclairer le législateur sur une question, la fin de vie, dans le cadre d’une loi future à destination de tous les citoyens, de l’être humain et du progrès de l’humanité.
Un moment symbolique
Il y eut ensuite ce 3 avril 2023, quand, reçus à l’Élysée, comme un point d’orgue annonciateur de nouvelles « aventures » et de nouveaux espoirs, nous avons présenté notre « livrable » au président de la République. Le chemin s’ouvrait alors loin de l’endogamie rassurante de l’hémicycle du CESE. D’autres acteurs, les politiques, le monde médical et paramédical, la presse, les sociologues, les philosophes, les religions ou les courants de pensée adogmatiques et les associations s’emparaient alors de la question, chacun selon ses opinions, ses certitudes, ses polémiques, ses doutes, ses peurs se faisant l’écho d’une « Vérité » inébranlable, souvent réfractaire à la controverse. Pendant plus d’un an …
Acte II
La confrontation des opinions
Je ne voulais pas en rédigeant ce texte, faire état des écrits que j’ai produits (les synthèses des revues de presse reçues quotidiennement) et me mettre ainsi d’une quelconque façon en valeur – loin de moi cette intention. Pourtant, ce qui ressort des opinions exprimées relevait plus du débat polémique et partisan. Débat polémique mais surtout dogmatique fondé souvent sur des croyances, des impressions non vérifiables, sur des craintes, voire des peurs, élevées au rang de certitudes, en un mot, des arguties. Quelques organes de presse ont pourtant « élevé le débat » en produisant une information la plus objective possible, faisant état de la complexité qu’une telle démarche revêtait et se cantonnant à leur devoir d’information.
Au bout du compte, le débat n’aura finalement pas brillé par son objectivité. On aurait pu s’en douter parlant d’une question aussi sensible ! Cette remarque concernant le fonctionnement de la société civile au sens large, même si elle renvoie une image attendue de la diversité des modes de pensée et des opinions, n’en n’aura pas moins été exacerbée par des postures relevant plus de la passion que de la raison.
Fin de l’acte II
Malgré toutes les vicissitudes qui ont émaillé le débat sociétal, nous sommes maintenant arrivés à un nouveau point d’orgue : l’écriture de la loi, l’examen par le Conseil d'État et le passage du texte au Conseil des ministres préludent à sa présentation sur le bureau de l’Assemblée nationale.
Acte III
Après les actes I et II conclus avec la présentation du 3 avril 2023 et l’état [succinct] des réactions qui s’ensuivirent, nous voilà désormais dans l’acte III qui s’inaugure avec toutes les incertitudes qui naissaient déjà d’une question convoquant tout à la fois « l’intime et le sociétal ». La discussion à l’Assemblée nationale permettra-t-elle, dans un débat apaisé, de «rassembler ce qui est
épars ?».
Les risques de confrontations idéologiques ne sont pas à exclure et les pressions émanant des différents courants d’opinions laissent à penser que le débat parlementaire, prévu pour au moins un an, sera, pour le moins, rude à l’instar de ceux qui ont émaillé les réformes de grande envergure telles que la loi sur l’IVG ou celle du mariage pour tous.
À ce titre, quelques organes de presse le craignent et souhaitent au contraire un climat d’apaisement.
Quoi qu’il en soit, la vigilance demeure …
En guise de conclusion
Mon travail de conventionnel et celui de tous les membres de la Convention, tout comme celui que j’ai personnellement mené en suivant de près l’actualité de la fin de vie, me laissent une impression tout à la fois d’une grande satisfaction – et j’ose l’écrire de fierté – quant à l’avenir d’une loi qui servira de jalon pour marquer notre XXIème siècle.
Mais, dans le même temps, cette impression positive ne saurait faire l’économie de l’inquiétude et du doute inhérents à l’incertitude que l’espoir fait fatalement naître en toile de fonds.
J’emprunterai donc à Guillaume d’Orange, dit le taciturne, sa maxime :
« Il n’est point nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer »
Ce sera ma conclusion.
Jean Bouhours, le 17 avril 2024