Projet de loi, soins d'accompagnement et aide à mourir. Épisode 6
En guise d’introduction…
Le mois de janvier 2024 s’était achevé sur un avant-projet de loi qui avait eu le mérite de fixer les grandes orientations de la future loi : les soins d’accompagnement et l’aide active à mourir. S’ouvrait alors une période au cours de laquelle les instances gouvernementales furent confrontées aux réactions des différents acteurs agissant dans la mise en place du « modèle français » de la fin de vie : les soignants et les médecins, mais aussi les autorités religieuses tout comme l’ADMD.
Février puis mars 2024, point de départ de cette sixième synthèse, auront été marqués par trois changements importants dans l’équipe gouvernementale : l’arrivée de Gabriel Attal comme premier ministre et celle de Catherine Vautrin, ministre de la santé et de Frédéric Valletoux, ministre délégué à la santé.
Tout commence avec le discours de politique générale du premier ministre sur la partie relative à la fin de vie. Un discours entre des préoccupations humanistes
«face à l’insupportable, l’irréversible et l’irréparable » - les mots parlent d’eux-mêmes – et la nécessité d’une action politique concrète pour « répondre à la demande de nos compatriotes » avec « prudence » et équilibre dans le respect des convictions de chacun. Cette dernière précaution, Catherine Vautrin l’exprimera (Le Figaro, 10/2/24) en précisant qu’on doit « légiférer d’une main tremblante ».
À ce stade du débat qui va s’engager, notons que l’existence d’un seul texte est posée. C’est d’autant plus important à souligner que dissocier les soins palliatifs de l’aide à mourir – donc deux textes – restera l’argument fondateur des adversaires, soignants ou religieux. Pour terminer notons que ces changements laissent planer des doutes quant aux risques d’influer sur le choix opérés en privilégiant les soins palliatifs sur l’aide à mourir. Ainsi, l’ADMD ne cache-t-elle pas ses inquiétudes concernant la nomination de Frédéric Valletoux : « on ne sait pas encore si cette nomination est une mauvaise nouvelle, mais on est sûr que ça n’en est pas une bonne. Il reste à espérer que ce n’est pas un revirement, voire une sorte de trahison des engagements pris par Emmanuel Macron ». Quand on sait que Frédéric Valletoux, favorable à la priorité à donner aux soins palliatifs, devra porter le projet de loi ! Le remaniement n’aura pas été sans conséquences sur la tenue des débats qui suivront.
Dans la sphère parlementaire : un sentiment d’appréhension
Dans ce climat où tout concourt à entretenir les doutes des députés, l’appréhension règne au sein de la représentation nationale. Entre attente et urgence à se saisir de la question dans un contexte où les religieux font régulièrement savoir leur opposition et l’indécision de certains parlementaires que le vote d’un seul texte trouble, les réactions sont très diverses. « Cela demande beaucoup de réflexions et de conviction, je ne veux pas me tromper de vote » assure Mathieu Lefèvre. « Je ne sais pas encore quelle est ma position […] j’attends de voir le texte, car c’est un chemin de crête pour ne pas froisser un camp ou un autre » explique Caroline Abadie.
Une situation pour la moins préoccupante à laquelle Agnès Firmin Le Bodo, revenue sur les bancs de l’hémicycle, répond ainsi : « Faire deux textes, c’est ouvrir deux fronts alors que les débats ont jusqu’ici été apaisés. Il faut surtout éviter le débat qui les oppose. On n’enlève rien à l’autre, l’aide active à mourir doit être un continuum de la prise en charge de soins palliatifs. »
Un moment charnière : l’entretien du Président de la République à Libération et La Croix (11 mars 2024)
Moment important s’il en fût car c’est celui au cours duquel l’Élysée dévoile la stratégie et le calendrier son « modèle français de la fin de vie ». « Emmanuel Macron déclenche le projet de loi sur la fin de vie » titre Les Échos. L’article sera repris et commenté par l’ensemble de la presse nationale. Dans la lettre et dans l’esprit la loi ne crée « ni nouveau droit ni une liberté mais elle trace un chemin qui n’existait pas jusqu’alors et qui ouvre la possibilité de demander une aide à mourir sous certaines conditions strictes. » C’est ainsi que le texte du projet de loi introduit, en lieu et place de l’expression « aide active à mourir » celle « d’aide à mourir » que le Président justifie ainsi : « Le terme que nous avons retenu est celui d’aide à mourir parce qu’il est simple et humain et qu’il définit bien ce dont il s’agit. » Un euphémisme qui ne dissimule pas moins, en arrière-plan, des réalités plus clivantes et anxiogènes : l’euthanasie et le suicide assisté. (L’Humanité, 12/3/24)
Par ailleurs, aux dires du Président, le geste de l’aide à mourir est un geste de «fraternité » dont de nombreux opposants ne manqueront pas de dénoncer l’abus sémantique. « Loi de fraternité : les religions fustigent la tromperie » titre le Figaro du 12 mars 2024. Claire Fourcade, quant à elle, voit dans l’utilisation du mot « fraternité » du mépris pour le travail qu’effectuent les soignants. Pour Jean Léonetti (Le Figaro, 16/3/24), « l’aide à mourir, c’est le contraire d’un projet de fraternité ». « Il rompt l’équilibre fragile entre autonomie et solidarité ». C’est « la tactique des mots contre l’éthique des actes. » Au bout du compte, pour terminer ce chapitre « linguistique » - qui aura fait couler beaucoup d’encre – laissons à Laurence de Charrette, éditorialiste au Figaro (13/3/24), le soin de qualifier l’esprit de « fraternité » de la loi : « mots falsifiés et usurpation sémantique » qui dissimulent, derrière un simple changement législatif, un basculement culturel, sociétal et anthropologique.
Un projet de loi en équilibre précaire
Les critiques, les insuffisances et les non-dits ne se sont pas fait attendre sur un texte qui ne fait pas l’unanimité et réveille les oppositions frontales du monde des soignants et, surtout, des religieux que l’avant-projet avait suscitées.
Commençons par les religieux
Pour l’Église, comme pour les soignants d’ailleurs, « une ligne rouge » est franchie, celle de l’interdiction de tuer. (Le Figaro, 12/3/24). L’argument déjà utilisé précédemment, reprend force et vigueur à la faveur du mot « fraternité ». Sous le titre « Inquiétude », La Croix, (12/3/24) publie l’éditorial d’Anne Ponce qui se demande si l’aide à mourir peut être un geste de fraternité. Pourtant, et pour être tout à fait complet et nuancé, la vois des religieux n’est pas unanime. L’article de La Croix précise que les responsables catholiques et musulmans voient dans la possibilité d’une aide à mourir un tournant dangereux quand juifs et protestants jugent qu’elle ne relève ni de l’euthanasie ni du suicide assisté. Enfin, Pascale Morinière, présidente des Associations Familiales Catholiques (AFC) fait entendre une voix plus nuancée : « Les gens n’ont plus envie d’entendre les catholiques leur expliquer comment ils doivent vivre ». Ou mourir.
Poursuivons avec les soignants
Le contexte de la fermeture de l’unité des soins palliatifs (USP) des Yvelines met en lumière l’absolue nécessité de développer prioritairement les soins palliatifs. La réponse du gouvernement est la mise en place de la stratégie décennale : 1,6 milliards d’euros actuellement auxquels s’ajouteront d’ici dix ans un milliard supplémentaire ainsi que la couverture des 21 départements dépourvus d’USP. Claire Fourcade, présidente de la Spap, doute de l’efficacité de la stratégie décennale, notamment parce que le milliard d’euros supplémentaire ne correspond qu’à un « rattrapage du coût de l’inflation ».
François Braun, précédent ministre de la santé, dont on connaît l’opposition à l’aide à mourir, maintient sa position et pointe à ce titre les risques de dérives. L’enjeu se situant sur la question des soins palliatifs, « il y aurait un vrai risque de dérive, en effet, de se décharger du développement ces soins parce qu’on autoriserait le suicide assisté. ». L’analyse de Jean Léonetti rejoint le point de vue de François Braun. Il voudrait que « les soins palliatifs deviennent un véritable enjeu national. » (Le Figaro, 16/3/24).
Les revendications des soignants n’ont rien de révolutionnaires (JDD, 12/3/24), il ne s’agit que d’appliquer la loi. « Donnez-nous les moyens de former les équipes soignantes, engagez-vous à doter les 21 départements manquant d’USP ; évaluez et, dans quelques années, on pourra en reparler. » François Blot, en réponse au malaise des soignants, reconnaît l’inexistence d’un consensus : « On voit bien que ceux qui s’occupent de la fin de vie sont quasiment tous contre. Leur souffrance m’attriste et pourtant, je continue à considérer cela [l’aide à mourir] comme une réelle avancée sociétale. Au bout du compte, le Professeur Régis Aubry voit dans le projet de loi l’occasion de « libérer » la parole des patients aujourd’hui contrainte. Et Patricia Lefebure, médecin installée dans les Yvelines, d’ajouter : « Si nous devons nous impliquer, nous devons savoir de quoi on parle, connaître la réglementation pour éviter les dérives, être compétents sur l’utilisation des produits létaux et se poser les bonnes questions éthiques et personnelles pour savoir si en est prêt à participer à un tel geste. »
En guise de conclusion
Les oppositions au projet de loi sont globalement restées constantes et l’on observe qu’elles ont tendance à s’étendre à de nouveaux aspects de la loi. D’une constatation concrète des insuffisances des propositions, on est passé à une extrapolation éthique touchant aussi bien au vocabulaire employé – le terme de « loi de fraternité » en particulier – qu’aux valeurs morales en jeu dans le débat. Une façon de constater que l’intime prenait le pas sur le collectif. « Un basculement culturel, sociétal et anthropologique » ?
Jean Bouhours, le 6 avril 2024