La Convention Citoyenne Fin de Vie : de la remise du rapport à l’Élysée à la préparation du projet de loi. Episode 3
Dernier épisode de la trilogie sur la revue de la presse depuis le lancement de la CCFV. Merci à Jean Bouhours, notre collègue conventionnel qui s'est attaqué à ce vaste projet.
Le gouvernement, sous l’autorité du Président de la République, est chargé de préparer le futur projet de loi « mettant en place un modèle français de la fin de vie ». C’est à Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, qu’il revient les missions construire et rédiger le projet de loi. Cette « co-construction », qui implique parlementaires et soignants, rencontre obstacles et critiques.
1. Les propositions de la ministre et l'avis du CESE
Ce texte, « qui devrait donc ouvrir de nouveaux droits ne se résumera pas à la légalisation de l’aide à mourir, s’articulera autour de trois blocs : l’aide à mourir, le développement des soins palliatifs et les droits des patients. » (JDD et Le Parisien, mai 2023).
1.1 Sur les soins palliatifs
Il s’agit d’abord d’actualiser la circulaire de 2008, ensuite de préparer « un plan décennal qui entrera vigueur en 2024 » (JDD, mai 2023) et, enfin de créer une filière médicale dévolue. (JDD, mai 2023). Sur l’importance des soins palliatifs dans l’élaboration du futur projet de loi, Agnès Firmin Le Bodo déclare, lors de l’ouverture du congrès de la SFAP, à Nantes : « L’évolution de l’accompagnement de la fin de vie ne se fera pas sans le développement des soins palliatifs. ». (juin 2023)
Le développement des soins palliatifs c’est le plan décennal pour 2024 :
- La création d’une filière médicale dévolue sous l’autorité des ARS (Agences régionales de Santé ;
- L’extension à tous les départements français d’une USP ;
- La prise en charge à domicile pour tous les patients qui le souhaitent s’ils disposent d’un entourage susceptible de les accompagner (actualisation de la circulaire « hospitalo-centrée » de 2008).
1.2 Sur l’aide active à mourir
L’avis 139 du CCNE, rendu en septembre 2023, ouvre la voie à l’assistance au suicide sous certaines conditions. « Il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir, à certaines conditions strictes, avec lesquelles il est inacceptable de transiger. »
1.2.1 Les propositions de la ministre
Au-delà des soins palliatifs, c’est l’ouverture de la loi à l’aide active à mourir qui constitue la nouveauté dans le cadre d’un « modèle français » qui reste à définir. S’appuyant sur les propositions de la CCFV, la ministre décline les conditions d’accès à l’aide à mourir :
- exclusion des mineurs et des patients souffrant de maladies psychiques ;
- volonté réitérée du patient ;
- discernement intact ;
- pas d’espoir de guérison
- pronostic vital engagé à moyen terme ;
Par ailleurs, elle préconise deux garde-fous :
- une clause de conscience pour les médecins et les soignants qui ne veulent pas participer à l’AAM ;
- la nécessité que le patient se soit vu proposer une prise en charge palliative préalable.
Assurer une traçabilité de la démarche de A à Z est une nécessité, comme le préconise la CCFV : « Il me semble essentiel de pouvoir suivre tout le processus » déclare-t-elle. Enfin, souhaitant qu’un lexique soit intégré dans la loi, elle propose de substituer l’appellation « mort choisie » à celle de « suicide assisté ». (JDD, mai 2023). Août 2023, Agnès Firmin Le Bodo, sans jamais dévoiler ses intentions trop avant, parle, dans la quasi-totalité de ses interventions, du suicide assisté « modèle Oregon » où des patients, dont le pronostic vital est engagé à six mois, peuvent demander la prescription d’un comprimé létal. Les membres de son cabinet pointent la stabilité de ce système.
1.2.2 La position du CESE
Le CESE, lors du vote, en séance plénière, d’un projet préconisant la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, se prononce unanimement en faveur de l’aide active à mourir. Dominique Joseph, rapporteure de l’avis du CESE et secrétaire générale de la Mutualité française (La Croix, mai 2023) affirme que « en fin de vie, le droit à l’accompagnement est ouvert jusqu’à l’aide active à mourir ». Cette position s’appuie sur trois arguments :
1. Le cadre législatif actuel, réglé par la loi Claeys-Léonetti, ne répond pas à toutes les situations médicales ;
2. la nécessité de lutter contre les inégalités. « Il n’est pas normal que des Français qui disposent de la bonne information, des réseaux et des moyens financiers puissent avoir recours à l’aide active à mourir en se rendant en Belgique ou en Suisse quand d’autres sont privés du droit de choisir librement. » ;
3. la nécessité d’en finir avec les euthanasies illégales.
Les membres de la commission du CESE se défendent de promouvoir une aide à mourir « ouverte à tous les vents ». Si les deux blocs, « développement des soins palliatifs » et « droits des patients » du rapport, n’ont pas suscité de critiques, il n’en est pas de même pour l’ouverture de « l’aide active à mourir ».
2. Les oppositions à l’AAM.
2.1 Dans la sphère politique
C’est Jean Léonetti qui « ouvre le bal » dès le début d’avril en jugeant que l’annonce du Président « surprenante et décevante » est « un revirement par rapport à sa position antérieure qui consistait à prendre son temps sur ce sujet complexe. ». Il ajoute par ailleurs : « Les Français seront donc traités de manière inégale face à leur fin de vie car on sait que la prise charge des soins palliatifs diminue fortement leurs demandes de mort. ». Il observe toutefois que le Président de la République « n’avait pas d’autre choix que de légiférer sous peine d’être accusé de ne jamais suivre l’avis des conventions qu’il a créées. ». Et de conclure, « le modèle français existe déjà, c’est la loi actuelle ! Elle va très loin dans le respect de l’autonomie et la préservation solidaire de la dignité de la personne sans donner la mort. ». (Le Figaro, avril 2023).
« Le Sénat se prononce contre l’aide active à mourir » titre La Croix, après l’adoption du rapport de la commission des affaires sociales du Sénat le 28 juin 2023. L’aide active à mourir est qualifiée de « réponse inappropriée et dangereuse à une demande diffuse et équivoque. » Et de conclure que « le modèle français de fin de vie » souhaitable doit « privilégier la sollicitude au nihilisme ». Pour la sénatrice Corinne Imbert, « le principal péril est l’impossibilité de fixer un cadre strict et stable dans le temps. Nous réaffirmons ce que nous défendions dans notre rapport sur les soins palliatifs de 2021 : il faut mieux faire connaître la loi Claeys-Léonetti qui est un trésor national. ».
Déjà le 8 juin 2023, La Croix titrait « Sur le dossier de la fin de vie, le Sénat entend donner de la voix. ». Christine Bonfanti-Dossat, sénatrice, critiquant la logique du gouvernement « on va faire ensemble pour finalement tout décider tout seul » répond : « C’est de bonne guerre politique, mais nous ne jouerons pas le jeu du gouvernement. À lui de prendre ses responsabilités. Nous prendrons les nôtres. ». En effet la droite sénatoriale estime « qu’avant d’autoriser l’euthanasie, il fallait au préalable mieux faire connaître la loi Claeys-Léonetti de 2016. ».
Jean Mattei, ancien ministre de la santé et ancien président du comité d’éthique de l’académie, estime que « L’aide active à mourir n’est pas un soin et ne peut pas le devenir. ». Il propose par ailleurs que les demandes d’assistance pourraient être examinées par un juge dans le cadre d’une concertation collégiale. « Seul un juge peut vérifier et garantir qu’il n’y a pas d’emprise, et qu’il s’agit d’un choix libre, réitéré effectué par une personne en pleine conscience. » François Braun, ancien ministre de la santé et Jean Christophe Combe, ancien ministre des Solidarités de l’autonomie et des personnes handicapées, comptaient résolument parmi les opposants à la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. (Marianne, fin août 2023).
Jean Christophe Combe redoute pour sa part que le message implicite envoyé par un texte sur l’aide active à mourir puisse conduire les personnes vulnérables à l’auto-effacement. À « l’impasse en Macronie », ainsi que le qualifie Marianne (août 2023), s’ajoute enfin la crainte de voir, à terme, la France condamnée par la Cour Européenne des Droits l’Homme à la suite des requêtes de l’association « Dignitas » - néanmoins rejetées en 2022 par le Conseil d’État. L’absence en droit français « de garanties appropriées et suffisantes concernant la faculté pour chacun de mettre fin à ses jours au moment de son choix, consciemment, librement et dans la dignité. »
2.2 Dans le champ de la médecine et des soignants
2.2.1 L’ordre des médecins
L’ordre des médecins a dévoilé, le 1er avril 2023 lors de son Assemblée générale, les résultats de sa consultation sur la fin de vie menée pendant neuf mois par ses conseils départementaux et régionaux. Il se dit « défavorable à toute possibilité de mettre en place une procédure d’aide active à mourir pour le mineurs et les personnes hors d’état de manifester leur volonté. » Il est par ailleurs « défavorable à la participation d’un médecin à un processus qui mènerait à une euthanasie, le médecin ne pouvant provoquer délibérément la mort par l’administration d’un produit létal. ». Il réclame par ailleurs une « clause spécifique » qui « pourrait être mise en exergue à tout moment de la procédure » sans pour autant empêcher le médecin faisant valoir cette clause de continuer à suivre son patient.
Concernant l’accueil des demandes par les médecins, l’enquête de l’Ordre des médecins pointe trois réactions différentes :
1. le professionnel acte la demande mais ne l’entend pas et le dialogue ne s’engage pas. C’est l’attitude la plus rare, adoptée par les soignants les plus expérimentés ;
2. Les professionnels actent et questionnent l’approche palliative sur les améliorations possibles. C’est l’attitude la plus couramment observée ;
3. Les professionnels sont préoccupés, voire parfois perturbés, attitude observable lorsqu’il y a une demande de sédation et un dialogue avec les proches. La demande va donc aiguiller le soin sans bien sûr franchir le cap de la loi.
À noter cependant que l’Académie de médecine a apporté un soutien inattendu à « un droit à l’assistance au suicide « à titre exceptionnel » », salué comme « un bouleversement, une évolution doctrinale » par le cabinet d’Agnès Firmin Le Bodo.
2.2.2 Les médecins.
Selon l’avis de 12 organisations soignantes, « il avait été promis que les organisations soignantes seraient consultées, ce qui à ce jour (mai 2023) n’est pas réalisé ». Elles pointent « la perspective d’un seul et même texte qui instaure une grande confusion, car cela reviendrait à présenter la mort provoquée comme le complément de l’offre de soins, alors qu’il s’agit en réalité d’un acte qui ne relève pas du même registre. » Une opinion partagée par Élisabeth Hubert, médecin, ancienne ministre de la santé sous le gouvernement Juppé et présidente de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile.
2.2.3 La Société française d’accompagnement et des soins palliatifs (SFAP)
Elle s’interroge sur la place donnée aux soignants dans l’élaboration d’un nouveau texte législatif. La SFAP, qui a fédéré une douzaine d’organisations du monde médical, maintient que « donner la mort n’est pas un soin ». Elle formule à cet effet une exigence : « Nous demandons au gouvernement et au Parlement de poursuivre cette voie française de l’accompagnement, en ne faisant pas peser la décision et la réalisation de la mort provoquée sur les équipes soignantes du patient. » Une façon de s’exclure de l’acte d’AAM.
Elle précise cependant : « Nous irons à la table de l’écriture de la loi à venir. Nous dirons ce qui nous est essentiel ». Cette participation à la première réunion, qui s’est tenue le 5 juin 2023, laisse un goût amer si l’on en croit Ségolène Perruchuio (SFAP) : « Nous avons exprimé toutes nos lignes rouges lors de cette réunion. L’ordre du jour de la seconde réunion n’en a pas tenu compte. On a eu l’impression de ne pas avoir été entendus. ». En réponse, non seulement l’ordre du jour de la réunion suivante a été modifié et la clarification effectuée, la ministre « a reconnu que le groupe de travail des soignants n’était pas sollicité en vue d’une « co-construction » de la loi mais simplement consulté en raison de son expertise médicale. ». « Nous ne leur demandons pas de valider le projet de loi mais d’expertiser un processus qui soit le plus possible respectueux de leurs pratique et des personnes concernées. C’est la ligne de crête que nous essayons de trouver » explique-t-on au cabinet d’Agnès Firmin Le Bodo.
3. La défense de l’AAM
3.1 Des soignants
Rappelant que « les médecins sont peu éduqués à parler de la fin de vie et [qu’] ils ont une connaissance modeste de ce qu’est l’approche palliative » (Le Figaro, juin 2023), Giovanna Marsico, directrice du CNSPFV – Centre National des Soins Palliatifs et de la Fin de Vie – rappelle les deux chantiers dont Agnès Firmin Le Bodo est responsable : la stratégie sur les soins palliatifs et un projet de loi permettant d’ouvrir l’accès à une aide active à mourir. Les deux aspects sont aussi importants l’un que l’autre.
Dans le même quotidien, Philippe Lohéac, de l’Association pour le Droit de mourir dans la Dignité, se déclare favorable à ce que cette aide soit ouverte à toute personne atteinte d’une affection grave et incurable. Mais c’est le Professeur Jean Reigner, chef du service de réanimation du CHU de Nantes, qui estime que légaliser l’aide active à mourir est la seule solution pour que les patients soient entendus par les professionnels de santé. « Quand on a plus rien à proposer à une personne en souffrance extrême, l’aide à mourir est un soin. Cela doit faire partie de l’arsenal thérapeutique. » ‘(Libération) Médecin et présentatrice du « Magazine de la santé », Marina Carrère d’Encausse met en avant « l’implication du médecin », rappelle l’importance des soins palliatifs mais considère « qu’on ne peut plus admettre que des Français en fin de vie aillent à l’étranger ». En France, « on a un vrai problème avec la fin de la vie, la dépendance. On n’arrive pas à mettre les mots dessus, on cache la mort ». (Le Parisien)
3.2 Aux personnalités de la société civile.
La société civile, quant à elle, a aussi pris part au débat en publiant dans le magazine L’Obs le manifeste des 109 personnalités françaises favorables à l’évolution de la loi vers l’aide active à mourir. Terminons avec le témoignage de Line Renaud, qui déclare, à la suite du téléfilm « le prochain voyage » : « Quand les gens souffrent trop, il faut abréger. On doit pouvoir choisir sa mort ».