Henri et Jean-Michel, conventionnels chrétiens nous livrent leurs témoignages sur cette expérience
Notre Convention a été une grande expérience de partage pendant, et après. Au cours des séances en amphi, en groupes de travail, aux pauses café, nos antennes respectives émettaient des signaux et créaient de fines connexions. Elle a dit une chose qui m’a surpris, il est bien informé, elle a posé une bonne question, je me retrouve dans ce qu’elle-il a dit, mais j’aimerais creuser. Beaucoup d’échanges croisés, y compris depuis, par les Whatsapp, mails, téléphones. C’est ainsi que j’ai eu plusieurs échanges avec Jean-Michel P., pendant et depuis, et que nous avons parlé de nos ressentis comme de nos choix, et de nos engagements spirituels respectifs.
Il se trouve qu'avec des chrétiens de Rouen et de Caen, universitaires et assimilés comme moi, nous avons créé il y a quelques années un Bulletin Théologique, d’un solide niveau de réflexion. Ma première idée a été : si je racontais pour notre BT mon vécu de la Convention, ma réflexion, les choix que j’ai faits, mes votes ? Et aussitôt : puisque nous avons pas mal discuté, si je demandais à Jean-Michel de faire le même travail de relecture ? Et alors notre BT publierait les deux, côte à côte et différents ! Accord de principe de la rédaction du BT, accord de Jean-Michel, nous avons écrit chacun notre témoignage qui est paru dans le dernier numéro. Mais, nous pensons, Jean-Michel et moi, qu’il vaudrait la peine de sortir de notre entre-deux pour diffuser vers les amis du whatsapp Presse 184, et pourquoi pas le site des 184.com.
Voici donc ces deux textes, livrés à votre lecture, votre réflexion, à de possibles échanges…
Henri et Jean-Michel
Mon Expérience d’une Convention Citoyenne :
pour un débat si peu « conventionnel » : Aider à mourir ?
Henri Couturier
Quand un coup de téléphone en octobre 2022 m’a proposé, ayant été tiré au sort, de participer à la Convention citoyenne sur la fin de vie, j’ai répondu aussitôt que j’avais rêvé de participer à cet événement et j’ai bientôt donné mon accord, conscient tout de même que mon âge me rendrait moins aisés les déplacements à Paris, et l’active participation à deux jours de travaux pour chacune des neuf sessions, de décembre 2022 à mars 2023. En arrivant au Cese à Paris, je me suis découvert à 87 ans comme le doyen d’âge des 184 citoyens, réunis pour répondre à la question qu’est venue nous poser la Première Ministre : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? » Il est apparu d’emblée que la question posée en ces termes impliquait, et presque appelait, la possibilité d’une nouvelle loi sur la fin de vie et que si le développement des soins palliatifs allait faire l’unanimité des participants, la question de l’ouverture à une « aide à mourir » sous forme de suicide assisté ou d’euthanasie ferait l’objet d’âpres débats, d’autant plus que les sondages d’opinion indiquaient une très forte adhésion des Français à cette possibilité, « surtout pour ne pas souffrir ».
J’arrivais, l’esprit ouvert et bien disposé à découvrir les enjeux médicaux, sociaux, éthiques, spirituels de ces questions. Les quelques amis chrétiens à qui j’en parlais étaient catégoriques et à les entendre j’étais comme « missionné » pour lutter d’arrache-pied contre cette possibilité, un engagement qui découlait du « Tu ne tueras pas », le meurtre comme l’inceste étant deux interdits fondateurs de notre société humaine, ce qu’expriment les Dix Commandements ainsi que le Serment d’Hippocrate pour les médecins. Un refus qui sera très clairement affirmé quand les représentants des religions, juifs, chrétiens, musulmans et bouddhistes viendront nous dire dans l’hémicycle leur opposition à toute forme d’aide à mourir, tout en s’affirmant prêts à accompagner spirituellement les personnes qui prendraient pareille décision. Accompagner, c’est le moins qu’on puisse dire et surtout faire !
J’avais le souvenir de la mort de mes parents. Dans les années 1990 les soins palliatifs étaient mal connus dans cet hôpital et il arrivait assez fréquemment que les médecins après avoir consulté la famille perfusaient un « cocktail lytique », mélange de produits qui apaisent les douleurs et à plus fortes doses entraînent bientôt la mort. Ce qui fut fait pour mon père dont le corps était saisi de mouvements frénétiques. Une pratique que beaucoup considèrent aujourd’hui comme une euthanasie déguisée. Et j’arrivais à la Convention avec la question : n’y-a-t-il pas des situations d’extrême douleur ou souffrance, durables, insupportables et incurables dans l’état actuel de la médecine qui appelleraient un processus d’euthanasie et/ou de suicide légalisé ? On citait souvent le cas des personnes atteintes de la maladie de Charcot mais plus près de nous, une autre affection, la maladie de Crohn a pris un visage : Stan B, l’un d'entre nous, un homme de trente quatre ans, qui a témoigné devant nous des lourdes conséquences de cette maladie, et souhaitait une loi qui lui permette un jour d’accéder à une aide à mourir.
Tout au long de nos neuf (1) rencontres à Paris, revenu chez moi, je n’ai cessé de lire et réfléchir à cette question: le suicide est-il condamné par la foi chrétienne ? Un article accessible en ligne, « Le suicide dans l’histoire de la théologie, d’Augustin à Bonhoeffer » m’a donné de bons repères d’ordre historique et théologique. Les Pères de l’Eglise, au temps des premières persécutions estimaient que certains martyrs, se jetant dans la mort, auraient agi sous l’influence d’un commandement direct de Dieu. Thomas d’Aquin, qui a beaucoup fait autorité, part de la loi naturelle pour affirmer l’interdit du suicide « Tout être s’aime naturellement soi-même ; de là vient qu’il s’efforce, selon cet amour inné, de se conserver dans l’existence… C’est pourquoi le suicide va contre cette tendance de la nature et contre la charité dont chacun doit s’aimer soi-même »(2). Et il ajoute deux arguments : le suicide est une injustice vis-à-vis de la société, car « chaque homme est dans la société comme une partie dans un tout » et qu’il ne doit pas, disait Socrate, « quitter sa place dans la vie ». Et j’ai cité au cours d’une de nos réunions le fameux poème de l’anglais John Donne : "No man is an island : Nul homme n’est une île, entière en elle-même ; La mort de tout homme me diminue…N’envoie jamais demander pour qui sonne "le glas", il sonne pour toi" (3).
Enfin « la vie est un don de Dieu accordé à l’homme, qui demeure toujours soumis au pouvoir divin » (selon l’article précité de Karsten Lehmkühler), on songe ici au Deutéronome (32, 39) : « C’est moi qui fais mourir et qui fais vivre », et ainsi « il pêche contre Dieu », cet homme qui se coupe de la communauté humaine. Mais du côté de la Réforme ? Il y a Luther qui aborde la question surtout sous l’aspect pastoral, où il s’agit d’accompagner les personnes dans la « cure d’âme » ; il se montre donc compréhensif pour des situations de désespoir total. Au 20e siècle, le grand théologien protestant Dietrich Bonhoeffer voit la possibilité de terminer sa vie comme un signe d’humanité : contrairement à celle des animaux, la vie de l’homme n’est pas une contrainte dont il ne peut se débarrasser ; il est libre de la vivre ou de l’anéantir. Il peut faire ce dont aucune bête n’est capable : se donner volontairement la mort. Et l’auteur de l’article de commenter : « Cette liberté proprement humaine est donc, pour Bonhoeffer, une condition essen-tielle d’humanité : seul celui qui est capable d’accepter sa vie volontairement et sans contrainte, sera aussi en mesure de donner sa vie pour un but supérieur, par exemple pour sauver une autre personne. »
Quand sont venus pour nous, les 184 citoyens de la Convention, après la phase d’appropriation du sujet, les temps de la délibération, différentes positions se sont manifestées. Pour ma part, j’étais convaincu que des soins adaptés, une présence, un accompagnement médical et humain, devraient permettre de soulager les douleurs sans passer par une aide à mourir. Vint alors la « Phase d’harmonisation et de restitution des travaux » où il a fallu voter à la question claire et décisive : L’accès à l’aide active à mourir devrait-il être ouvert ? Pour ma part, j’avais rencontré l’équipe des soins palliatifs du CHU de Rouen. A Paris, nous avons été éclairés par le témoignage de Claire Fourcade, présidente de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (S.F.A.P.), par des témoignages de soignants qui ont accompagné beaucoup de malades vers une mort apaisée ; nous avons aussi entendu des témoignages de médecins - ils seraient en France une majorité - qui se refusent à poser ou accompagner le geste létal.
Finalement, 75,6 % des votants ont répondu Oui, à une aide à mourir sous la forme d’un suicide assisté « avec exception d’euthanasie » 23,2% ont dit Non, et 1,2 % se sont abstenus. Mais après les votes, même si j’avais voté non, j’ai souhaité me joindre aux groupes des « pour » afin de baliser le parcours des personnes qui souhaitent cette aide à mourir : poser des contrôles et des garde-fous (une demande clairement identifiée, répétée, passage par un parcours de soins, procédure collégiale etc.) ; définir dans quelles situations (incurabilité, souffrance réfractaire, pronostic vital engagé, et que faire pour des mineurs ?). Mais qu’en sera-t-il sur le terrain et dans la pratique à venir ?
Voter une loi, qui permettra aux citoyens d’accéder à une aide à mourir, euthanasie ou suicide assisté ? Ne sommes-nous pas ici devant un « saut anthropologique majeur » ? Il y a beaucoup de pudeurs de vocabulaire ici ; pour éviter «euthanasie», on dit « aide à mourir » ou encore « mort choisie ». A l’argument de la liberté de choisir, les promoteurs de la future loi insistent aussi sur la question de la «dignité», comme l’ADMD (4), A quoi répondait l’article d’Elodie Maurot dans La Croix, au début de notre Convention, qui avait bien posé les termes : « Beaucoup de difficultés viennent du fait que notre époque hésite entre une dignité au sens ontologique, liée au simple fait d’être humain, et une dignité au sens postural, liée au maintien, à la tenue, à la décence, à la pudeur. Au sens postural, on est digne à proportion que l’on maîtrise sa conduite et l’animalité qui est en nous, qu’on est maître de soi. Cette dignité posturale possède des degrés, elle peut se mesurer et elle peut se perdre. » Aujourd’hui, ce deuxième sens de la dignité a tendance à l’emporter, et la conviction s’effrite que la dignité de l’homme resterait intacte en toutes circonstances, notamment quand la fin de vie fait perdre des caractères essentiels à l’humanité : le langage, la raison, l’autonomie…
Je dois avouer que mon vote contre l’aide à mourir n’a pas aboli un questionnement jamais éteint. Des situations d’intolérables, durables, non-guérissables souffrances, d’insupportable souffrances psychologiques, qui conduisent à une demande de mort. La position des religions peut sembler dogmatique et, tout au long de la Convention, et depuis, elle se heurte à l’opinion majoritaire : tout faire pour ne pas ou ne plus souffrir. Hâter la mort : un ultime geste de fraternité ? Enfin, je nourrissais in petto et garde encore une question audacieuse : puisque le Créateur a donné à l’homme cette liberté de raisonner, choisir et décider en conscience, ne pourrait-il pas aussi pour de très graves raisons choisir aussi sa mort ?
Mais parfois aussi, rechoisir la vie ? Le poète Louis Aragon a dit admirablement cette expérience, la tentation du suicide, mais tentation dépassée quand vient la chaleur, la lumière d’une présence fraternelle, dans un poème, qui m’est revenu pendant la Convention ; une confidence chantée bien des fois depuis, par Léo Ferré, d’autres :
Il n’aurait fallu qu’un moment de plus
Pour que la mort vienne
Mais une main nue
Alors est venue
Qui a pris la mienne
Qui donc a rendu
Leurs couleurs perdues
Aux jours aux semaines
Sa réalité à l'immense été
Des choses humaines.
Petit sourire en coin, pour finir, si je l’ose : chaque fois qu’au cours de nos sessions nous nous retrouvions en petits groupes de dix à trente personnes, il me revenait l’image du Synode à Rome en octobre 2023 où pour la première fois des tables rondes ont réuni côte à côte pour un échange fraternel et sans supériorité évêques ou cardinaux, prêtres, diacres, laïcs femmes et hommes, religieuses et religieuses. Signe qu’une once de démocratie n’est donc pas contraire à la saine doctrine… A vin nouveau, outres neuves ?
Henri Couturier
1- En fait, j’ai manqué la 9e et dernière session, mais les votes décisifs avaient été posés dès la 8ème.
2- Somme théologique, Secunda secundae, question 64 article 5.
3- https://allpoetry.com/No-man-is-an-island
4- ADMD : Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité. (https://admd.france-assos-sante.org/)
« UN BEAU DÉBAT, MA FOI ! »Témoignage sur la Convention Citoyenne sur la fin de vie
(Déc. 2022 / Avril 2023)Par Jean-Michel P.
Voici la relecture d'un participant, croyant, pratiquant, engagé dans l'Eglise
depuis des décennies (à titre d’exemples, ma participation pendant dix ans
aux Entretiens de Valpré avec Mgr Barbarin à Lyon, Président d’une équipe
EDC - Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens - mais aussi les END - 12 ans -,
le CLER etc.)
Tout démarra lors d'un appel téléphonique fin octobre 2022, alors que depuis
septembre, j'avais commencé à faire du vide dans mon agenda pour entamer
une retraite progressive. Pourquoi ai-je décroché cette fois-là et surtout
pourquoi ai-je été si patient avec une téléopératrice ? Je comprends en
général dès les trois premières secondes quand il s'agit d'un appel
intempestif à des fins commerciales. Dans ce cas, les mots "Convention
citoyenne" et "Fin de vie" m'ont accroché. Et deux minutes plus tard, je
m'entendais lui dire "pourquoi pas" à la question de ma participation. Je crois
que dans la vie il y a des moments, et ce fut le bon moment !
Après la surprise d'être contacté parmi des millions de français, j'ai ressenti
de la gratitude pour cette chance qui m'a fait rejoindre le panel. Sur les 6
critères sociaux-professionnels - pour la sélection par Harris Interactive -
j'aurais pu être de trop, donc refusé deux semaines après l'appel initial.
Si les termes "Convention Citoyenne nationale" m'ont accroché, c'est parce
que j'avais entendu parler de la Convention sur le climat, la première du
genre en France ; en participant à la seconde, nous avons rejoint les 15
premières de ce genre dans le monde démocratique. J'ai fait mon service
militaire, un mandat électif dans ma commune alors que je n'avais guère plus
de 30 ans. Je suis une personne qui a l’habitude de s’engager
professionnellement et socialement. La "fin de vie", autre accroche initiale,
c'est évidemment un sujet qui nous touche tous. Pour ma part, je venais
d'accompagner mon père jusqu'à son décès en soins palliatifs (cancer) et
j'épaulais ma mère, elle aussi avec un cancer, seul aidant de mes parents.
J'avais ainsi "emmagasiné" plus de trois années de "vécu" sur le sujet.
Dépendance, souffrance, parcours médical… ces mots « raisonnaient » en
moi. J'ai ainsi passé un week-end sur deux au Palais d'Iéna, pendant plus de
4 mois, et terminé à l'Elysée, sous les feux des caméras (Co rapporteur tiré au
sort). Neuf week-end de travail intenses (27 jours au total au CESE Paris)
pour nous, les 184 citoyens tirés au sort, "échantillon miroir" de la société
française, pendant lesquels avons vécu cette expérience démocratique avec
un grand sérieux, dans une controverse argumentée enrichissante et
respectueuse. Notre rapport est le reflet d’un "arc en ciel d’opinions". Ceci est
une vraie fierté.
Nos conditions de travail de membres de la CCFV furent excellentes,
heureusement, tant les journées étaient denses, y compris la charge
émotionnelle liée au sujet. Pour rejoindre le Palais d'Iéna pour 2 jours, mes
déplacements depuis mon domicile correspondaient à une journée
supplémentaire. Les moyens à notre disposition étaient à la hauteur : une
équipe d'animation avec des coaches, des garants, fact-checkers, facilitateurs
graphiques, vestiaires, buffets, psy... Un environnement professionnel
comme je le connaissais dans les grandes entreprises. Ainsi je ne me sentais
pas trop perdu dans cette organisation, impressionnante à certains égards.
Au début de la convention, je redoutais la pression politique et médiatique, je
me suis ainsi fondu dans le "flow" d'un processus bien animé. Ensuite, j'ai
tenté de préserver mon libre arbitre des tentatives de manipulation de
certains participants par des journalistes orientés et des lobbies. J'ai stressé
certains jours imaginant une manifestation devant le Palais d'Iéna
d'irréductibles anti-euthanasie ; mais ce n'est pas arrivé, même devant
l'Elysée. Je suis entré, courageusement je crois, dans le vif du sujet, bien
avant le 1er week-end en lisant l'Avis 139 du CCNE, des articles de La Croix et
en écoutant des conférences. Je me souviens de Jonathan Denis de
l'Association au droit à mourir dans la dignité, d’Erwan Le Morhedec,
bénévole en soins palliatifs ou de Mgr Pierre d’Ornellas en charge d’éthique
(CEF).
Je crois qu’il est plus sain d’aborder ce sujet difficile, dans toutes ses
dimensions, en tentant de rester à minima objectif ; une Convention
Citoyenne s’y prête. Parce que la fin de vie de nombre de nos contemporains
est un véritable chemin de croix (dépendance, solitudes familiales, pluripathologies, etc.), je trouve important de pouvoir en parler. Ce thème sous-tend celui de la douleur et plus largement de la souffrance, dans un contexte
de révolution de la longévité, historique. Un débat sur un tel sujet mérite de
la nuance car il relève à la fois des dimensions sanitaires et médicales (avec
leurs progrès techniques), mais aussi des croyances (religieuses, non religieuses,
philosophiques), de l’éthique et enfin des droits et devoirs des
citoyens, dans le cadre d'une République démocratique comme la France,
dont je rappelle la devise : "Liberté, Egalité, Fraternité".
J'ai vraiment été déçu de l'audition des instances religieuses qui,
unanimement et uniquement dogmatiques, n'ont pas avancé d'argumentation
structurée. Un commandement ancestral, "Tu ne tueras point" a été jeté en
pâture aux pauvres bougres qui souffrent (alors que les chrétiens devraient
s’élever massivement contre la perversion du discours évangélique de Poutine
qui a mis à feu et à sang l’Ukraine) ? Bref, une seule litanie de peurs et de
craintes. Pour les organisations non-religieuses, un peu en miroir, elles
étaient dans la caricature du "c’est mon droit !" Les propos des philosophes,
eux, m’ont aidé à avancer dans ma réflexion.
Nos pauses café nous permettaient d’échanger nos ressentis entre
Conventionnels sur les auditions (plus d’une soixantaine). Nombre d’entre
nous partageaient, comme moi, leurs expériences personnelles, sans parler
des soignants parmi nos rangs. Professionnellement, je suis aussi intervenu
ces dernières années en milieu hospitalier dans ma région. Les difficultés des
personnels de tous métiers ne m’étaient pas inconnues (nous avons tenu à
rédiger un Manifeste sur l’urgence de défendre notre système de santé à la
Française.) Je les aidais à gérer leur stress, communiquer de façon moins
violente et manager de manière assertive. Une Convention Citoyenne, c’est
pour que les citoyens s’emparent de cette question ! C’est l’Etat qui nous
demande de réfléchir pour amender la loi ; ainsi la vie privée s’invite dans le
débat de notre société. Pouvoir parler de la mort et des différents types de
souffrances est une chance. Avoir le courage de s'y confronter alors que la
société semble vouloir cacher ces réalités est crucial. De nos jours, nos
concitoyens demandent massivement à ne pas souffrir et à avoir la possibilité
de choix, c’est à dire de soulager in fine une vie humaine qui ne serait plus
vivable.
Laborieusement, nœuds éthiques explorés les uns après les autres, j'ai
questionné mes croyances, revisité mes expériences, cherché à comprendre
dans la complexité, notamment des techniques médicales et de l'organisation
de notre système de santé. J'ai été souvent remué, voire secoué. Je n'ai pas
lâché pour en arriver à une intime conviction : la réponse à Mme La Première
Ministre est que la situation actuelle n'est pas satisfaisante ; la loi (mal
connue), les moyens financiers (insuffisants) et la culture (gériatrique)
doivent évoluer (NB : notre démographie nous amène à +30% de décès dans
les 10 ans qui viennent).
Je suis arrivé dans la Convention sans avis arrêté sur l'aide à mourir, sans
être un chantre de l'euthanasie. J'en suis sorti avec la certitude que les
chrétiens (ou une autre minorité) n’ont pas à chercher à imposer leurs vues à
l'ensemble d’une société démocratique. Je ne reviendrai pas sur le triste
témoignage, incongruent, de notre Eglise sur bien des aspects (son autorité
est notamment entachée par les scandales d’abus). J'ai eu droit pour ma
part, au sein de mon propre doyenné et de mon diocèse à des réactions
négatives, très certainement liées à des peurs et à un manque de maturité
sur le sujet et ses différentes dimensions. Le problème ressenti étant surtout
une carence de dialogue sincère : ainsi mon curé qui n’a pas voulu un
témoignage de la CCFV alors que des paroissiens me le demandaient ; tout
comme mon évêque, disant que la convention n'est pas "démocratique" ! Et
puis, surtout en fait, qui est-on nous laïcs, pour questionner de tels sujets ?
(je me suis cru sous l'Ancien Régime…) Dans nos communautés, il est des
gens qui veulent avant tout imposer ; ils ne témoignent de rien, ils récitent ce
qu’on leur a mis dans le crâne. La réalité ordinaire de notre société se
retrouve de moins en moins présente dans notre institution. 75,6% des
Conventionnels ont voté pour l'AAM, n’est-ce pas clair et net ? Ce
cléricalisme, et ce paternalisme, cachent en réalité une volonté pernicieuse
d'emprise chez certains représentants d'une Eglise dans laquelle j'ai de plus
en plus de mal à me reconnaitre (moi, enfant de Vatican II). Non, l'Eglise -
même si des efforts sont parfois faits - ne tire pas suffisamment les leçons de
l'évolution historique de nos sociétés contemporaines. Elle ne représente plus
qu'une infime portion dans la société et ne semble pas vouloir le constater.
Elle ressemble aux "300", piégés dans leur bastion. J'ai nommé certains
soignants et le lobby des soins palliatifs qui sont devenus virulents.
Une approche empathique permet de comprendre que vouloir mettre fin à sa
vie n’arrive que dans des situations de souffrance vécues et ressenties
comme étant insupportables. Dans ce cas, la société a le devoir de venir en
aide, d’autant plus que les souffrances en question sont incomparables à ce
que leur entourage pourrait subir du fait d’un deuil anticipé. Il est égoïste et
cruel d’obliger de telles personnes à continuer de souffrir le martyre contre
leur gré. Le Dieu auquel je crois est miséricordieux, et il sait pourquoi celui
qui abrège sa vie le fait ! Osons regarder en face ces frères qui décident pour
eux. Ma dignité est de considérer que, même si je ne ferai pas ce choix, je
respecte leur dernière volonté. Je sais qu'il a même accueilli mon cousin
Dominique qui s'est suicidé à 60 ans en 2020.
Et maintenant, un an plus tard, j’attends un Président de la République,
hésitant, qui ne tient pas son calendrier, a de plus changé les deux Ministres
concernés… Il ne veut pas heurter, mais il ne faut pas faire les choses à
moitié !
"Le Christ n'a pas jugé qu'il fallait fuir la mort comme inutile. Dieu n'a pas
créé la mort, il nous l'a donné comme un remède".
Saint-Ambroise (Mort en 397)
Jean-Michel P.
Ce récit a été rédigé le 10 février 2024.