En attendant une loi… ou le temps des incertitudes. Episode 5

En attendant une loi… ou le temps des incertitudes. Episode 5
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Cette synthèse de presse reprend les principales annonces jusqu'à la démission d'Elisabeth Borne. Le prochain épisode traitera de l'actualité post nomination gouvernementale : annonce de Catherine Vautrin sur le projet fin de vie 2 jours après sa nomination et discours de politique générale au cours duquel Gabriel Attal à présenté un nouveau calendrier. A noter également que le 9 décembre, notre association a publié une lettre ouverte à l'adresse d'Emmanuel Macron publiée par le Monde et reprise par certains médias.

décembre 2023 –15 janvier 2024
rédigé par
Jean Bouhours le 27 janvier 2024

Filer la métaphore théâtrale[1] était très tentant pour évoquer les incertitudes et les atermoiements qui ont rythmé les débats autour d’une loi espérée par les uns tout autant que redoutée par les autres.

Un calendrier qui se fait attendre…

Entre hésitations gouvernementales et aspirations à légiférer rapidement, le débat s’éternise, alimenté de surcroît par les dissensions idéologiques entre ses différents acteurs. Il y a d’abord la conception attentiste du Président de la République qui s’interroge sur la pertinence à lancer dans le débat public « un sujet aussi anxiogène ». Opinion reprise par un membre du gouvernement qui déclare « Rien ne serait pire que de se mettre la pression, nous ne sommes pas à la minute. » Avec, comme le pointe L’Opinion (1/12/23), une crainte que le débat ne se déroule pas de façon aussi apaisée qu’espérée.

Toutefois, Agnès Firmin Le Bodo, dans un entretien au Figaro, brièvement relayé par Les Échos (11/12/23), réfute toute « hésitation » sur le sujet et annonce que le projet de loi sur le modèle français de la fin de vie sera présenté « courant février ». « Je comprends l’impatience mais, sur un sujet aussi complexe, il faut prendre le temps nécessaire, peser les mots. » ajoute-t-elle. Dans ce contexte, des voix s’élèvent pour promouvoir la nécessité d’agir vite. Olivier Falorni L’opinion (1/12/23) dit « parfaitement comprendre les doutes » d’Emmanuel Macron, mais déclare que « nous n’avons pas le temps d’attendre » et que ne pas voter le texte « serait une faute sociétale et une erreur politique ».

Dans un « Confidentiel » de Challenges (14/12/23), il revient sur les conclusions de la Convention Citoyenne, ajoutant que « c’est une question de crédibilité de la parole citoyenne ». Et comme pour conclure : « On ne saurait se moquer d’un vœu démocratique largement exprimé pour une liberté qui ne prive personne » « C’est la seule grande réforme de l’agenda du gouvernement ; il est contre-productif de la retarder ».

D’autres voix se joignent à celle d’Olivier Falorni. Thierry Beaudet, le président du CESE qui a accueilli la Convention Citoyenne, manifeste ainsi, dans L’Obs (7/12/23), son impatience : « Il y avait un temps nécessaire pour mûrir ce sujet difficile mais, maintenant ce doit être le temps de la décision. Il ne faut pas que la précaution devienne procrastination. ». Jean-Luc Romero, quant à lui, explique l’absence d’empressement du Président de la République par le peu d’intérêt que celui-ci porte aux sujets de société : « Ce qui est clair, c’est que ce n’est pas le président des sujets de société. Il a beau être un jeune président, ce n’est pas son truc. » Pourtant, selon Le Figaro (9/12/23), Emmanuel Macron, obligé par la Convention Citoyenne et pressé par sa majorité, n’a plus vraiment le choix : il doit passer à l’acte.

Un avant-projet de loi et un débat qui ne satisfont personne

Cet avant-projet de loi, qualifié de « version provisoire », propose un texte en trois parties : les soins d’accompagnement, les droits des patients et l’« aide active à mourir ». On notera au passage que les soins palliatifs sont devenus « soins d’accompagnement » selon la préconisation du rapport de Franck Chauvin remis au gouvernement dans le cadre du « modèle français des soins d’accompagnement ». (Le Figaro 9/12/23). Il devrait être « présenté courant février 2024 ». Le Figaro, (9/12/23)

Sur les soins d’accompagnement tout d’abord

La ministre annonce « une petite révolution dans la manière de considérer les soins palliatifs », « Leur champ doit s’élargir pour anticiper cette prise en charge en amont, dès l’annonce d’une maladie grave. ». La création de « maisons d’accompagnement » (100 d’ici 10 ans dont 20 dès 2025), l’augmentation du nombre d’équipes mobiles de soins à domicile (création de 230 équipes) tout comme le développement d’une filière universitaire figurent parmi les mesures de « rénovation et de renforcement de la filière palliative ». En janvier, c’est donc la stratégie décennale qui sera présentée, en février, l’avant-projet de loi sur la fin de vie dans la globalité des trois piliers qui la soutiennent.

Sur l’Aide Active à Mourir enfin

Si la structuration générale de l’avant-projet – les trois piliers – était déjà connue, c’est dans les modalités d’application de l’Aide Active à Mourir que le texte envisage des choix nouveaux et plus précis. Ainsi, en est-il de l’expression de l’enjeu d’une telle mesure : « le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. » L’Aide Active à Mourir serait mise en œuvre par les professionnels de santé, même si, « par principe », elle serait effectuée « par la personne elle-même » avec intervention « d’un médecin ou d’un infirmier » si le malade « n’est pas en mesure physiquement d’y procéder ». L’avant-projet suggère même que ce rôle peut être assuré par un proche sachant toutefois que les soignants seraient présents à toutes les étapes de l’aide à mourir, à commencer par le médecin traitant chargé de réaliser une évaluation de toutes les demandes de « mort choisie » et de vérifier que le patient correspond, avant de donner son feu vert, aux critères d’accès.

Voilà pour ce qui concerne les propositions actuellement envisagées par le gouvernement relativement au « modèle français » de la fin de vie, mesures qui font encore débat dans les milieux associatifs, médicaux, religieux et non religieux essentiellement et dont la presse s’est largement fait l’écho.

Pour les associations de soignants

Dès le 15 décembre 2022, l’annonce selon laquelle « l’exécutif ouvre la voie à l’exception d’euthanasie » (Le Figaro, 15/12/2023) ne laisse indifférents ni les partisans ni les opposants à l’aide active à mourir. Ainsi, pour l’ADMD, une simple exception d’euthanasie n’irait pas assez loin. A contrario, Jean-Louis Samzun, président de l’association Claromed a signé un communiqué pour dire la « consternation », « l’inquiétude » et la « colère » des soignants que cette association représente.

Claire Fourcade, présidente de la SFAP, quant à elle déplore que les soignants se retrouvent « impliqués d’un bout à l’autre de la chaîne » alors que ce collectif informel – une quinzaine d’organisations - avait « demandé l’inverse depuis deux ans ». Elle ajoute par ailleurs : « On a l’impression d’avoir été niés. Le gouvernement a franchi toutes nos lignes rouges ». Sur le contenu de l’avant-projet, (JDD, 17/12/2023) elle réagit à l’expression « secourisme à l’envers » : « le premier sentiment a été l’effarement. À la première lecture, je n’ai même pas réussi à passer le concept de secourisme à l’envers ». Et elle poursuit « depuis le début, nous contestons la continuité entre le soin et le fait de donner la mort et là, en parlant de secourisme « à l’envers », elle reconnaît que ce qu’on nous demande est « à l’envers de ce qu’est le soin » ! C’est, en effet, de la médecine à l’envers. » En guise de conclusion, elle rappelle que « donner la mort n’est pas un soin », qu’inclure un proche « est une folie » et que subordonner l’acte d’euthanasie à la décision d’un médecin reviendrait à confirmer la toute-puissance médicale. « Pour euthanasier, il suffirait la décision d’un médecin ? C’est le retour de la toute-puissance médicale alors que nous tentons au contraire d’équilibrer la relation de soin. »

Pour les milieux religieux et non religieux

Le Figaro (15/12/2022) publie la tribune de Mgr Vincent Jordy, archevêque de Tour qui s’inquiète du bouleversement que l’aide active à mourir représenterait pour notre civilisation. « L’euthanasie, ultime avatar de la décivilisation ». Pour lui, des annonces et une méthodologie discutables laissent à penser que « les dés » étaient « pipés » sinon « jetés ». « Le droit à mourir dans la dignité sera un progrès majeur. » titre La Tribune Dimanche (9/12/2023) qui publie le point de vue de Guillaume Trichard, Grand Maître du Grand Orient de France. Il appelle solennellement le chef de l’État à accélérer la mise en place du projet de loi.

Un texte ou deux textes ?

La question est déclenchée dès le 10 janvier 2024 par La Croix qui rend compte de la présentation des vœux présidentiels aux responsables des cultes le lundi 8 janvier. « Macron annonce aux cultes deux textes distincts sur la fin de vie ». À la demande des responsables chrétiens et juifs, il s’agissait de séparer, en deux parties distinctes, le développement des soins palliatifs et le texte portant sur l’aide à mourir, conformément à la suggestion portée par la SFAP et celle de douze députés qui avaient alerté sur la différence fondamentale sur les deux sujets. Cette annonce, qui avait été saluée, sur le moment, par les responsables des cultes, ne semblait pas tenir compte que le président comptait intégrer à la loi sur la fin de vie un volet sur les soins palliatifs. Aussi, toujours selon La Croix (12/12024), l’Élysée met fin au malentendu, conformément aux précisions de la présidence, distinguant la présentation de la stratégie décennale de développement des soins palliatifs – fin janvier-début février – du projet de loi lui-même – développé plus tard – pas avant mars ou avril. En effet, certaines des mesures de la stratégie décennale nécessitent une traduction législative dont la création de « maisons d’accompagnement ». Voilà qui justifie, selon La Croix, le décalage entre les deux textes mettant un terme à l’imbroglio avec les représentants des cultes. « Projet de loi sur la fin de vie, l’Élysée met fin au malentendu », titre le quotidien. Une confusion qui tient sans doute à un effet de calendrier.


[1] Samuel Beckett : « En attendant Godot ».